Opinion : Environnement

Et si Énergie Est était un éléphant blanc ?

Nous avons appris récemment que, selon une étude réalisée par le ministère des Finances du Québec, le projet Énergie Est serait bénéfique sur le plan économique pour le Québec. Sur 20 ans, le projet rapporterait 7 milliards au PIB du Québec et 460 millions au ministère des Finances. Mais il y a un hic majeur : pour que ces prévisions se concrétisent, l’accord de Paris doit échouer, et le Québec doit rater ses cibles de réduction des gaz à effet de serre et de la consommation de pétrole.

Le ministère des Finances soutient que la construction du pipeline permettrait d’augmenter la quantité de pétrole raffiné au Québec à 400 000 barils par jour (bpj). Mais les raffineries québécoises approvisionnent essentiellement notre marché, ce qui signifie que ce n’est pas l’offre pétrolière qui détermine les quantités raffinées, mais plutôt la demande québécoise, qui est de l’ordre de 355 000 bpj. Or, dans sa politique énergétique, Québec prévoit réduire de 40 % sa consommation de pétrole d’ici 2030, ce qui ramènerait la demande interne à 213 000 bpj. On peut légitimement se demander où seraient écoulés les 187 000 barils excédentaires.

Une autre des hypothèses du ministère des Finances est problématique : il table sur une hausse de 0,5 % de la demande en pétrole annuellement d’ici à 2040, soit une augmentation de plus de 12 % de la consommation mondiale sur 25 ans.

En résumé, le ministère des Finances du Québec fonde l’ensemble de son analyse sur l’hypothèse d’un échec de l’accord de Paris, dont les objectifs nécessitent une réduction importante de la consommation de pétrole.

Les modèles économiques du ministère des Finances n’accordent aucune considération aux objectifs planétaires et québécois de lutte contre les changements climatiques.

Si l’analyse des Finances peut sembler discutable sur le plan climatique, elle l’est tout autant sur le plan économique. Le Globe and Mail a publié récemment une analyse intéressante qui démontre que si tous les projets d’oléoducs présentement à l’étude voyaient le jour, nous nous retrouverions dès 2025 avec un excédent de capacité de transport de l’ordre de 2,4 à 2,7 millions de bpj. Pourquoi ? Parce que l’Office national de l’énergie, comme le ministère des Finances du Québec, table sur une croissance continue de la consommation de pétrole dans le monde, et un prix du baril de pétrole qui permet d’accroître rentablement la production de pétrole bitumineux.

Coûts de production

Mais l’industrie semble voir les choses d’un œil différent. Le géant norvégien Statoil et la pétrolière Shell se sont départis de leurs actifs dans les sables bitumineux. Exxon-Mobil a quant à elle rayé de ses actifs 3,6 milliards de barils qui ne seront pas exploités en raison de coûts de production trop élevés.

Ce désengagement ne découle pas d’une diminution draconienne de la consommation de pétrole, mais plutôt d’une demande anémique combinée à une surproduction mondiale qui ont pour effet de garder le baril de pétrole à un prix inférieur à celui de la rentabilité dans les sables bitumineux. Imaginons un instant l’effet combiné de politiques efficaces de lutte contre les changements climatiques et de percées technologiques imminentes, notamment dans l’électrification des transports, qui verraient la consommation de pétrole diminuer. Énergie Est pourrait devenir un éléphant blanc supposé transporter un pétrole qui est demeuré dans le sol vers des marchés qui n’existent plus.

La question qui se poserait alors est celle-ci : qui a financé ce projet, et combien ces acteurs financiers ont-ils perdu ? Alors que la Caisse de dépôt et placement du Québec est sollicitée pour financer l’oléoduc Trans Mountain de Kinder Morgan, et éventuellement Énergie Est, cette question devrait préoccuper notre ministre des Finances.

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